Kinopoivre, les films critiqués par Jean-Pierre Marquet

Fin 2002

Après un semestre assez morne, faut-il encore espérer de meilleurs films ? Dans le doute, je tente de montrer dans un Entracte 10 que le cinéma est en perte de vitesse, artistiquement s’entend. C’est l’objet de l’Entracte 10. La saison automnale s’ouvre avec Minority report, film assez moyen de Steven Spielberg, écrasé par Bowling for Columbine, de Michael Moore. La palme du ridicule, elle, va à Signes, de M. Night Shyamalan.

[Entracte 10]

Le chiendent, avec le cinéma actuel, c’est qu’il vous fait apparaître passéiste. Impossible de cabréliser en prétendant que « c’était mieux avant » sans avoir l’air d’un vieux con, autant le reconnaître.

Et pourtant...

Avant de me livrer, dans un prochain [Entracte 11], à la facile démonstration, exemples à l’appui, qu’effectivement, le seul art nouveau du vingtième siècle (car on peut compter pour peu de choses les années 1895-1900) est en train de tourner en eau de boudin, tentons une explication sur ce recul. Et rappelons que tout perfectionnement technique, dans ce domaine, s’est accompagné d’une régression artistique, au moins provisoire : le début du parlant a entraîné un raz de marée de films médiocres où l’on misait tout sur l’avènement des dialogues ; le cinéma en relief n’a jamais fourni un seul film regardable (mettons à part Dial M for murder, d’Alfred Hitchcock : le relief n’y était guère exploité, et le film n’est presque jamais projeté dans sa version stéréoscopique) ; le son stéréo n’est qu’une commodité, agréable certes, mais non une révolution ; l’enregistrement et les trucages numériques incitent à négliger le scénario pour privilégier le spectaculaire, etc.

Cependant, comme il n’y a pas d’effet sans cause, la raréfaction des chefs-d’œuvre du cinéma peut s’expliquer.

En premier lieu, et contrairement à ce qu’on pourrait supposer, on réalise aujourd’hui beaucoup moins de films que jadis. Normal : le coût de fabrication a grimpé en flèche, parce que les lois sociales ont imposé des salaires plus élevés qui s’ajoutent à des assurances très coûteuses, que les lois syndicales ont imposé des équipes pléthoriques, que les prix de la construction ont rendu les studios ruineux (on en a fermé quelques-uns, en France, comme les Studios de la Victorine, à Nice, ainsi que les studios de Bordeaux), que le coût de la publicité a énormément augmenté, que la rentabilité des efforts publicitaires, ayant rendu le public exigeant... et pressé, oblige les distributeurs à sortir les films partout en même temps, ce qui oblige à tirer un nombre phénoménal de copies : jusqu’à 900, récemment, pour un film sorti en France ! Lors de son tournage, 2001, l’Odyssée de l’espace avait la réputation d’être le film le plus cher de l’histoire ; or il a coûté dix millions de dollars seulement, en dépit de quatre ans de préparation et de réalisation entre 1964 et 1968 ! Cette somme est dérisoire, selon les critères d’aujourd’hui, et ne suffirait pas à payer deux semaines de salaire aux six acteurs de Friends.

Ensuite, les cinémas nationaux ont disparu. En Europe, ne demeure que la France, puis, loin derrière, l’Angleterre et l’Espagne, et, encore plus loin, l’Italie, l’Allemagne et la Belgique. On ne voit plus que très exceptionnellement des films scandinaves, russes, portugais, grecs ou d’Europe centrale. En Asie, ne restent que le Japon, dont la production est de qualité médiocre, et les deux Chine – Taiwan produisant les meilleurs, mais peu nombreux. Le cinéma philippin a disparu avec le décès de Lino Brocka. Exception : l’Inde, toujours à la pointe en ce qui concerne le nombre, mais pas la qualité, puisqu’elle fabrique uniquement des navets (la télévision est très embryonnaire en Inde). En Afrique, il ne reste que Youssef Chahine, en Égypte, pour sortir encore un film tous les trois ou quatre ans, et rarement réussi. On tourne beaucoup au Maroc et en Tunisie, mais ce sont uniquement des productions étrangères, qui trouvent là des décors attrayants et une figuration très bon marché. En Océanie, seule l’Australie produit des films, mais ses réalisateurs, sitôt connus, émigrent à Hollywood. Sur le continent américain, seuls les États-Unis et le Canada produisent des films en quantité, les autres pays peuvent demeurer des décennies entières sans rien donner. Et l’Iran, grâce à Kiarostami surtout, est sorti du néant, mais avec deux ou trois films par an, ce qui ne submerge pas la distribution mondiale.

Enfin, il reste la raison ultime : l’uniformisation, imposée par les États-Unis, du « goût » américain. Les canons de la mode cinématographique font qu’aujourd’hui, toujours et partout, la plupart des films se ressemblent, quel que soit le pays qui les produit. Dans ces conditions, tout ce qui tient de l’originalité, de la recherche, de la personnalité, a beaucoup de mal à passer. Ce n’est pas le climat le plus favorable à l’éclosion de nouveaux artistes capables de prendre la relève des maîtres disparus.

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Minority report

Réalisateur : Steven Spielberg

Scénariste : Scott Frank, d’après une nouvelle de Philip K. Dick

Interprètes : Tom Cruise, Colin Farrell, Samantha Morton, Max von Sydow

Durée : 2 heures et 24 mn

Sortie à Paris : mercredi 2 octobre 2002

Erreurs du film : http://www.erreursdefilms.com/pol/erreurs.php?idf=MINO

et http://www.dvdbloopers.net/fiches/default.asp?id=164

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Il arrive qu’un artiste décide de « dépoussiérer » son style, de passer à la « modernité », de « vivre avec son temps » ou, pourquoi pas, en avance sur celui-ci, plutôt qu’avec. Et, en général, sur cette bonne intention, il se plante. Souvenez-vous d’Hitchcock : l’un des traits de la Hitchcock touch que ses admirateurs préféraient, c’était ce contraste entre la noirceur de sa vision du monde et l’emploi de héros distingués, d’héroïnes élégantes et blondes, de méchants originaux et plutôt attirants (ah ! James Mason dans La mort aux trousses !...). Et puis, un jour, Hitch a tiré un trait sur tout cela, fait un pas en direction du populo, et réalisé Frenzy : il y montrait des femmes à poil et très communes, un héros vulgaire, un méchant qui se curait les dents avec une épingle de cravate, et tout ce joli monde parlait un langage ordurier. Adieu Grace Kelly, Joan Fontaine et Ingrid Bergman, adieu Cary Grant, Joseph Cotten et James Stewart ! Cela ne s’est d’ailleurs pas arrangé avec le film suivant, Family plot, c’est le moins qu’on puisse dire. Hitchcock avait donné tête baissée dans la MO-DER-NI-TÉ. C’est d’ailleurs au nom de cette nouvelle lubie qu’il avait mis fin à sa collaboration de dix ans avec le grand Bernard Herrmann, qui refusa de composer la musique pop que le réalisateur, mal conseillé, qui de surcroît ne connaissait rien à la musique, désirait pour Le rideau déchiré.

Souvenez-vous également du groupe Queen. Leurs premiers 33-tours (le CD n’existait pas encore) portaient tous la mention No synths – pas de synthétiseurs. De 1973 à 1978 inclus, Queen est resté fidèle à son style et à ses instruments d’origine. Puis, après Jazz, changement de politique, les synthétiseurs et leur son médiocre (ils ont fait des progrès depuis) envahissent tout, et la qualité s’en ressent. Le journal « Actuel » les qualifie alors de « groupe prétentieux et “artistique” », et Mercury est comparé à Luis Mariano !

De ce préambule, vous déduisez que je vais vous parler de Steven Spielberg et de son film Minority report, dont la publicité ne craint pas d’affirmer que c’est son meilleur film, ce qui prouve bien que l’humour ne perd jamais ses droits. Si Minority report est le meilleur film de Spielberg, alors Jacques Chirac est le Président le plus honnête depuis De Gaulle ; Jean-Marie Messier, le patron le plus compétent de l’ère quaternaire ; Romane Bohringer, l’actrice la plus sexy depuis Hedy Lamarr ; et Jean-Marie Bigard, l’humoriste le plus drôle depuis le Pétomane.

La première heure de Minority report est tuante d’ennui à force de clichés, et de cette persistante sensation de déjà vu qui est d’ailleurs l’un des thèmes du film. Il faut dire que l’histoire se passe en 2054 ; on va donc s’efforcer de donner au monde futur un aspect... futuriste, bien sûr ! Hélas, nous sommes très au-dessous de Blade runner, on se croirait plutôt dans Le cinquième élément. Or, réfléchissons un instant : 2054, c’est dans cinquante-deux ans. Il y a cinquante-deux ans, nous étions en 1950. Le conflit israélo-palestinien avait commencé, or il dure encore ; le conflit irlandais était encore plus ancien, et il dure encore ; les rois du pétrole étaient les dictateurs du Proche-Orient, ils le sont toujours et continuent de bénéficier de privilèges spéciaux qui leur assurent l’impunité ; l’Afrique vivait un marasme permanent, elle est toujours sous la coupe de potentats corrompus et imbéciles qui l’enfoncent chaque jour davantage dans la misère et le malheur. Les États-Unis jouaient aux gendarmes du monde, ils persistent. Chez nous, certains politiciens se réclamaient du gaullisme, leurs amis sont toujours au pouvoir ; nous nous déplacions dans des voitures à essence polluantes et meurtrières, nous continuons ; les inégalités sociales faisaient hurler la gauche, c’est à peine si elles se sont aggravées ; l’abbé Pierre s’apprêtait à pousser son coup de gueule en faveur des mal logés, il n’a toujours aucune raison de se taire. Oh ! Je ne prétends pas que RIEN n’a changé : en 1950, Line Renaud chantait, aujourd’hui, elle joue la comédie, il y a donc eu un certain progrès.

Sur un plan plus visuel touchant davantage au cinéma, on peut soutenir aussi que décors, véhicules, méthodes policières et innovations techniques n’ont pas tellement changé sur ce très court laps de temps. De plus, les spécialistes en prospective de cette époque ne craignaient pas alors d’affirmer, avec toute l’autorité dont ces gens-là font preuve en toute occasion, qu’en 1980, chacun aurait son avion personnel, que nous ne travaillerions plus que deux heures par jour, qu’on grefferait n’importe quel organe tout neuf à n’importe qui en exprimerait le désir, que le cancer ne serait plus qu’un souvenir, que l’énergie serait inépuisable et gratuite, et que la pauvreté aurait disparu. Le seul film d’anticipation sérieux, 2001, l’Odyssée de l’espace, sorti en 1968, montrait la Lune colonisée, une station spatiale gigantesque en orbite autour de la Terre, un ordinateur plus intelligent que les humains, et une expédition vers Jupiter (mais il ne prévoyait pas du tout Internet ni les téléphones portables).

Autant dire que, dès qu’un cinéaste, fût-il génial comme Kubrick, fût-il secondé par un scientifique comme Arthur C. Clarke, veut faire de l’anticipation, il se vautre en beauté. Pourtant, de ce progrès qui piétine, Spielberg lui-même est sans doute conscient, puisque, par deux fois dans son film, il est affirmé que le progrès n’a pas été tel qu’on se l’imagine, et qu’à l’époque où il situe son récit, on ne sait toujours pas guérir un simple rhume !

Mais passons audit film. Plus encore que dans A.I., l’exposition est très longue (comme celle de cette critique) : une heure de remplissage à coup de gadgets improbables, de décors high tech et d’images hideuses, grisâtres et où domine ce bleu métallique à la mode dans la pub depuis quelques années – ce qui a fini par devenir agaçant de conformisme balourd. Puis on entre dans le vif du sujet, qui est d’essence philosophique, et enfin cela devient intéressant, car, si la mise en scène est d’une banalité telle qu’on se demande où est passé le Spielberg, excellent conteur, qu’on a connu, le scénario, lui, est riche et original. Un poil trop compliqué, peut-être. Une fois de plus, le thème très sarkozyen aurait intéressé Stanley Kubrick, puisqu’il s’agit de la prévention du crime. Tout le monde se souvient que, dans Orange mécanique, une expérience d’éradication de la délinquance tournait mal, d’abord pour le cobaye, pour les expérimentateurs et apprentis-sorciers ensuite. Même chose ici, à cette différence près qu’on tombe dans l’irrationnel – alors que, paradoxe, Kubrick croyait davantage que Spielberg au prétendu « paranormal ». La référence à Orange mécanique est d’ailleurs évidente, puisque Spielberg réutilise les fameux écarteurs de paupières dont Kubrick s’était servi sur la personne de Malcolm McDowell !

Le scénario ? Une expérience sur la drogue, tentée sur des enfants de moins de douze ans, a mal tourné : beaucoup sont morts, trois ont survécu, sont devenus médiums et se trouvent désormais hantés par d’horribles cauchemars représentant des meurtres... qui ont lieu effectivement quelque temps après. La ville de Washington profite de l’occasion pour mettre sur pied un service baptisé Précrime, et qui exploite les dons supranormaux de ces trois enfants, deux garçons jumeaux, et une fille, Agatha, la plus douée. On les élève à l’abri, dans un lieu secret, et leurs visions sont exploités par un flic très bizarre, John Anderton, un drogué, obsédé par l’enlèvement de son jeune fils, lequel n’a jamais reparu depuis six ans. Notez déjà ce trait symbolique, et caractérisant la société future : pour faire notre bonheur, des victimes de la drogue exploitées par un flic adepte de la drogue ! Radieux, ô mes frères, l’avenir qui nous attend... Mais c’est le point commun de tous les films d’anticipation.

Le rôle d’Anderton est tenu par le désespérant Tom Cruise, lequel, en vingt et un ans de carrière, n’a pas encore tout à fait appris à jouer la comédie, et se fait écraser ici par son partenaire Colin Farrell, dans le rôle d’un « fouineur du ministère » qui guigne sa place. Anderton a pour fonction de détecter les lieux où un meurtre va être commis et d’y expédier une brigade de policiers, qui arrêtent le pré-délinquant et le mettent hors circuit en le « cerclant » (un procédé de trépanation électronique) avant de le placer dans un container où il continuera une vie végétative, ce qui revient moins cher que la prison. Mais un grain de sable va gripper cette belle mécanique, lorsqu’une vision prémonitoire des médiums révèle qu’Anderton lui-même va bientôt commettre un crime. Comme la révélation a eu un témoin, le gardien des médiums, impossible d’étouffer l’affaire, et voilà Anderton obligé de fuir pour ne pas être à son tour arrêté puis « cerclé ».

Cette cavale va d’ailleurs donner lieu à l’un des rares gags du film : comme tout un chacun, en cette époque bénie, est identifié immédiatement par ses empreintes rétiniennes, voilà le héros forcé de... changer d’yeux ! Un trafiquant lui procure les yeux d’un Japonais, ce qui lui vaudra d’être appelé « Monsieur Yakamoto » par tous les panneaux publicitaires interactifs qu’il croise ensuite. Il a tout de même conservé ses propres yeux dans un petit sac en plastique, car il en aura besoin pour pénétrer clandestinement dans son ancien lieu de travail – identification oblige. En effet, Anderton, qui vient de découvrir la perversion du système auquel il donnait son concours, apprend en outre que ledit système n’est pas infaillible, puisqu’il arrive que les trois médiums n’aient pas la même vision. Ce qui signifie qu’on a pu arrêter puis supprimer préventivement des innocents. Dans le cas d’un tel désaccord, le protocole prévoit qu’un « rapport minoritaire » (d’où le titre) est rédigé, mais confidentiellement enfoui... dans le corps du médium dont la vision n’est pas identique à celle des deux autres. Ainsi, le seul espoir de survie d’Anderton consiste à s’innocenter en prouvant qu’un médium n’a pas eu la vision du crime qu’il « doit » commettre. Il va donc enlever ledit médium, Agatha en l’occurrence.

L’enlèvement réussit, et notre flic sait à présent, ayant déchiffré le rapport minoritaire, que les deux autres médiums ont prévu qu’il tuera bientôt l’homme qui a enlevé puis assassiné son fils ; et surtout, il a compris qu’il ne doit pas le tuer, afin de rester en vie et libre. Revers de la médaille, cela prouvera l’inanité de Précrime. Il arrête l’homme. Or, celui-ci... était un faux assassin, qui ne s’est mis volontairement sur son chemin que pour toucher une prime qui sera versée à sa famille s’il est effectivement tué ! Rebondissement. Comme Anderton refuse de le tuer, il se suicide, et le suicide passe pour le meurtre qui ne devait pas avoir lieu. Etc.

L’histoire est encore loin d’être terminée, car le véritable méchant, qui a tué la mère d’Agatha pour s’assurer la possession de l’enfant et fonder sur elle le système Précrime, n’est pas démasqué d’emblée. Il le sera tout à la fin, et se suicidera lui aussi, avec une balle en or pour rester simple. Scandale, et le système Précrime sera enfin abandonné.

On le voit, le scénario, tiré d’une simple nouvelle de Philip K. Dick, est très orienté politiquement, et ne doit pas beaucoup plaire à Charlton Heston et aux partisans américains de l’auto-défense, de la « tolérance zéro » et de la vente libre des armes. Mais il est surtout absolument délirant, ce qui est le meilleur aspect du film. Hélas, la réalisation est très banale, et son style est calqué sur celui de tous les films d’action actuels, avec gadgets, poursuites, bagarres, explosions, cascades, et une débauche d’effets numériques dont on a vite une indigestion. Durant la première heure, il ne doit pas y avoir un seul plan qui n’ait été refait sur ordinateur. De temps à autre, une idée vient agrémenter ce festival de clichés : les journaux sur papier sont pourvus d’images animées, la boîte de céréales du petit déjeuner parle, les panneaux publicitaires interpellent les passants en les appelant par leur nom (quel cauchemar !), le fugitif tente d’échapper à la détection par infra-rouge en s’immergeant dans une baignoire remplie de glaçons, l’inventeur du système Précrime est une dame âgée qui cultive des plantes carnivores, etc. Mais le tout est trop long, met trop longtemps à démarrer, n’est pas toujours très clair, et les images, répétons-le, sont hideuses, alors qu’elles étaient très belles dans A.I., pourtant raté à cause d’un mauvais scénario plutôt gnangnan qui ressassait le thème spielbergien des rapports parents-enfants. Enfin, l’univers du futur ne convient guère à Spielberg, dont j’ai déjà relevé qu’il était beaucoup plus à l’aise avec les histoires du passé.

Vous le voyez, on est ramené à l’éternel débat sur le fond et la forme. En tant que spectateur, vous avez donc le choix : ou bien vous estimez que c’est le fond qui compte, et que les intentions priment sur le résultat. Dans ce cas, vous aimerez Minority report. Ou bien vous pensez qu’un bon scénario ne suffit pas si le film est réalisé sans talent, vous serez mal à l’aise, et crierez au gâchis.

Quoi qu’il en soit, vivement le quatrième épisode d’Indiana Jones !

*

Post-scriptum à l’Entracte 7, antérieur à ce film, et dans lequel je traitais du thème de la séparation chez Spielberg : ici, Anderton a été séparé de son fils, enlevé puis assassiné. Sa femme a divorcé ensuite.

En bref : à voir à la rigueur.Haut de la page

Bowling for Columbine

Réalisateur :Michael Moore

Scénariste : Michael Moore

Interprètes : Michael Moore, George W. Bush, Charlton Heston, Marilyn Manson

Durée : 2 heures et 3 mn

Sortie à Paris : mercredi 9 octobre 2002

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Pauvre Charlton Heston ! Il fait presque pitié, à la fin du film, lorsque, vaincu par les questions faussement innocentes de Michael Moore qui le met devant ses responsabilités, il abandonne la discussion et, vieillard à bout de souffle, courbé, la démarche hésitante, il part se réfugier dans sa maison de star, laissant son tourmenteur déposer en évidence la photo d’une de ses victimes : une petite fille de six ans, tuée sans raison dans son école par un autre enfant de son âge – le plus jeune meurtrier de l’histoire.

Salaud de Charlton Heston, lorsque, au lendemain des drames que provoque son activisme à la tête de la National Rifle Association (Association Nationale pour les Armes à Feu), il se pointe régulièrement sur les lieux et entame un des discours belliqueux dont il a le secret, brandissant un flingue en introduction et hurlant « Pour me le prendre, il faudra me passer sur le corps ! » – du moins selon les sous-titres, souvent peu fiables, reconnaissons-le.

Ainsi a-t-il fait dans la ville de Flint, où est né Michael Moore, et où est morte la petite fille en question. Pour ne rien arranger, faux cul jusqu’au bout, il prétend avoir tout ignoré du drame et s’être trouvé là par hasard. Un meeting en faveur de l’autodéfense qui se tient « par hasard », dans les jours qui suivent, sur les lieux de l’assassinat d’une victime de la même autodéfense...

 

 

Le titre du film vient du lycée Columbine, à Littleton (Colorado), où, en 1999, deux élèves ont massacré treize de leurs camarades, sans la moindre raison. Pourquoi le bowling ? Parce que, dans le même lycée, existe un cours de bowling, dont les lycéens reconnaissent volontiers qu’il n’a aucune valeur pédagogique, et que fréquentaient les deux meurtriers. Mais enseigner le bowling au lycée, n’est-ce pas digne de ce pays où, pour « réussir » des études supérieures et décrocher une bourse, mieux vaut exceller au football ou au basket que d’être intellectuellement apte ?

Aujourd’hui, avec tout ce que nous savons sur les États-Unis, il faut plus que friser la débilité mentale pour accorder encore, à la majorité des habitants de ce pays, ne serait-ce qu’une parcelle de respect, et pour concevoir la moindre admiration envers cette « civilisation » qui sert de phare à tant d’égarés. Ce n’est pas sans raison que les États-Unis passent pour « le grand Satan » auprès de certains, et Moore fait un rappel utile : quatre millions de morts au Vietnam pour soutenir une dictature pourrie, mais anticommuniste, ceci justifiant cela, bien entendu ; mise au point du coup d’État de 1973 au Chili, par le distingué Henry Kissinger, prix Nobel de la Paix (!), avec à la clé l’assassinat du Président élu Salvador Allende, et l’intronisation de Pinochet ; Manuel Noriega, dictateur panaméen, trafiquant de drogue notoire, soutenu jusqu’à ce qu’il ait le culot de désobéir à ses protecteurs américains ; soutien à Saddam Hussein lorsqu’il pouvait encore servir en faisant la guerre à l’Iran ; soutien à Ben Laden débutant, avant qu’il se retourne contre ses ex-manipulateurs. Bref, en toute occasion, politique étrangère cynique et ne visant qu’à la domination exclusivement yankee. Au profit, très souvent, du lobby pétrolier dont fait partie la famille Bush, et des marchands d’armes, notamment Lockheed, expressément désigné dans le film.

Avec cela, sur le plan intérieur, un mode de vie fondé sur le gaspillage, un conformisme lourdingue, le culte de la niaiserie de type disneyien, le triomphe du matriarcat, une nourriture infecte et malsaine qui fait des millions d’obèses (voyez Moore lui-même !), le communautarisme générateur d’antagonismes haineux, un fonctionnement à deux vitesses de la Justice (qui libère les pires délinquants à condition qu’ils puissent payer, tout en condamnant à perpète les petits délinquants ayant récidivé deux fois), l’obsession de la Bible, l’omniprésence de la religion, des psychanalystes et des sectes, les armes en vente libre, la personnalisation du Pouvoir, l’idolâtrie du dollar, un américano-centrisme forcené, le goût de la chicane judiciaire, le mépris de l’environnement, les subventions hypocrites et niées aux agriculteurs américains en vue de détruire l’agriculture des pays étrangers pour mieux leur fourguer les produits made in U.S.A., le pillage quasi-systématique des ressources non renouvelables de la planète, et l’on en passe – l’espèce humaine se porterait mieux si nos chers amis n’existaient pas. Et on n’est pas près d’oublier la conclusion logique de tout cela, tirée par le prodigieux George Bush : « Cette grande nation doit conduire le monde ! Doit conduire le monde ! »...

Heureusement, quelques artistes, quelques intellectuels, résistent encore, mais avec si peu de poids qu’on devrait bien leur réserver un petit village gaulois ! Si mal entendus, parfois carrément rejetés, dans leur propre pays ! Michael Moore est de ceux-là. Doté d’un humour à froid et d’une obstination rare, expert en maïeutique – cet art d’accoucher les esprits par le biais d’un questionnement bien conduit –, Moore écrit des livres et réalise des films qui démontrent que les États-Unis ne sont rien d’autre qu’un pays en état de psychose permanente, livres et films lançant inlassablement au reste du monde cette mise en garde : méfiez-vous, sinon vous deviendrez comme nous.

Ici, la cible visée, si l’on peut dire, c’est l’omniprésence des armes à feu, et surtout l’usage que les États-uniens en font. Car, chose étonnante, la possession d’une arme n’entraîne pas obligatoirement le meurtre aveugle. En effet, au cours de son enquête, Moore est allé voir comment cela se passait au Canada. Stupeur ! Les Canadiens sont presque aussi bien armés que leurs voisins du sud de la frontière : sept millions d’armes à feu personnelles pour dix millions de foyers ! C’est énorme. Or, le taux de mort violente dû à cet arsenal est insignifiant. C’est l’occasion d’apprendre que le Canada connaît moins de 300 meurtres par an, la France, 255, le Japon, 38, et les États-Unis... 11 127 ! Tandis que les gendarmes du monde tremblent en permanence et se calfeutrent chez eux, les Canadiens se marrent, profitent de la vie et ne ferment jamais leurs portes. Résultat : chez eux, une délinquance quasi-nulle !

Est-ce à dire que les pays autres que les États-Unis sont peuplés de pacifistes ? Non, répond Moore : l’Allemagne a eu les nazis, l’Angleterre a colonisé la Terre entière sans prendre de gants, l’Italie a eu ses fascistes, le Japon fut leur complice durant la Deuxième Guerre Mondiale et multiplia les atrocités, etc. Or, ils ne connaissent pas cette épidémie de meurtres, ces flambées de violence, ces émeutes « raciales ». Mais alors, la cause de tout cela ? Qu’est-ce qui fait, des États-Unis, cet enfer, ce foyer de l’insécurité permanente ? Selon Moore, c’est la peur, entretenue par les médias et les hommes politiques du style de George Bush le va-t-en guerre. Peur de l’inconnu, peur des étrangers, peur des jeunes et de leur musique (voir l’interview de Marilyn Manson), peur des Noirs surtout. Faut-il rappeler que la majorité des personnes incarcérées aux États-Unis sont noires, que la Justice américaine frappe les Noirs en priorité ? Souvenez-vous de ce jeune Noir, en Californie, condamné à la prison à perpépuité, en vertu de la loi sur la seconde récidive, parce qu’il s’était approprié, dans un fast food, la pizza d’un autre consommateur, mais blanc ! Cette peur aveugle va très loin : lorsqu’une rumeur imbécile fait croire aux Américains que des nuées d’abeilles à la piqûre mortelle vont envahir leur pays, il s’agit d’abeilles... africaines !

Allez voir ce film, quand bien même vous seriez allergique au militantisme. Vous frémirez, vous serez horrifiés, mais vous rirez aussi de ce pays inquiétant qui collectionne les ridicules, car Moore manie un humour pince-sans-rire qui lui est propre, et qui se révèle diablement efficace. Je vous recommande la séquence au cours de laquelle il se fait accompagner par deux jeunes garçons, victimes d’une fusillade (l’un est dans un fauteuil roulant pour le restant de ses jours), dont le corps est encore truffé de balles qui n’ont pas pu être extraites, et qui se pointent au supermarché K-Mart qui avait vendu les balles, « pour rapporter la marchandise ». Confronté au ridicule, le supermarché se voit forcé d’interrompre ses ventes de munitions. C’est de l’entartage à la puissance 10. Bowling for Columbine est un film sain, il devrait être subventionné, montré partout, et on devrait en imposer la vision à Bush et à ses sbires.

En bref : à voir absolument.Haut de la page

Signes

Titre original : Signs

Réalisateur : M. Night Shyamalan

Scénariste : M. Night Shyamalan

Interprètes : Mel Gibson, Joaquin Phoenix, M. Night Shyamalan

Durée : 1 heure et 46 mn

Sortie à Paris : mercredi 16 octobre 2002

Erreurs du film : http://www.dvdbloopers.net/fiches/default.asp?id=189

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Ah ! Quel bien cela fait, de temps en temps, que de visionner un bon gros navet ! On en sort ragaillardi. En forme pour une semaine entière !... Avantage supplémentaire, ce film-ci n’est pas trop long.

Signes est le cinquième opus du jeune Shyamalan, cinéaste de seulement trente-deux ans, mais qui n’a réussi à éveiller l’attention du public qu’à partir de son troisième, Le sixième sens, une histoire de fantômes avec Bruce Willis. Ce film souffrait d’un scénario peu rigoureux, bien que les spectateurs se soient laissé bluffer, précisément, par ce scénario ; mais, du moins, il bénéficiait d’une certaine atmosphère assez angoissante, complètement absente des deux films suivants, Incassable, bande dessinée interminable et sans dénouement, et ces Signes qui se noient dans le lac sans fond de l’irrationnel. Ici, ce sont les extraterrestres qui reviennent, vingt ans après E.T., ces retardataires, et on ne sait pourquoi ils ont quitté leur « maison ». La question ne sera pas posée, du reste.

Mel Gibson vit avec son jeune frère, Joaquin Phoenix, ex-joueur de base-ball, et ses deux enfants. Sa femme est morte dans un accident de la circulation provoqué par un chauffard, joué par Shyamalan lui-même. Du coup, bien que pasteur, Mel ne croit plus en Dieu. Au passage, il est permis de se demander pourquoi une de ses paroissiennes, qui se tourmente d’avoir dit des gros mots (je n’invente rien), lui demande de l’entendre en confession, rite qui n’existe pas chez les protestants ! Le génial scénariste s’est encore une fois emmêlé les pinceaux...

Cet état de pasteur défroqué, en tout cas, nous vaut l’habituelle scène grotesque, et gluante d’humanisme dégoulinant, propre aux films de Shyamalan. Ici, c’est une scène de repas : toute la famille est à table, et attend que l’ex-pasteur dise le bénédicité. Mais il se refuse à rendre grâce à son ex-employeur, et, pour mieux souligner ce refus, se jette sur la nourriture et commence à baffrer comme un goret. Alors, le reste de la famille, frère inclus, se met à gémir et sangloter. C’est vrai, quoi, ça fait de la peine au petit Jésus et à sa sainte mère, ce genre de comportement. Et l’on sait que, dans toutes les religions monothéistes, Dieu se préoccupe beaucoup de ce que nous mangeons, il n’a rien d’autre à faire.

Toujours est-il qu’un beau matin, notre pasteur défroqué découvre dans son champ de maïs que les épis ont été courbés en vue de dessiner sur le sol des signes cabalistiques, des crops circles, surtout visibles du ciel. À vrai dire, ce thème un peu démodé ne va jouer aucun rôle dans l’histoire, il est là surtout pour l’affiche. Mais qui sont les dessinateurs ? Des plaisantins du voisinage ? Mais non, ce ne peut être que l’œuvre des extraterrestres ! Justement, voilà qu’une dizaine d’engins spatiaux survolent la ville, et que leurs occupants, mettant pied à terre, s’attaquent à la population. Bref, une fois de plus, les États-Unis sont menacés par un ennemi venu d’ailleurs. La routine, quoi. Mais que fait donc Bruce Willis ?

Après avoir beaucoup regardé la télé, histoire de s’affoler un peu plus, Mel et Joaquin se barricadent dans leur maison en clouant bêtement des planches sur les portes, comme dans Les oiseaux. Je vous recommande la scène où les trois plus jeunes se coiffent de chapeaux pointus en papier alu, car ils ont lu dans un livre, genre Manuel du Castor junior, que cela éloignait les ondes maléfiques ! Hélas, malgré cette précaution que je regrette de ne pouvoir vous recommander plus chaudement, un extraterrestre a réussi à pénétrer chez eux. Il tente d’empoisonner avec son haleine le fils du pasteur, mais comme l’enfant a de l’asthme, il ne peut inhaler le poison, donc il est sain et sauf, et le frère estourbit l’intrus à coups de batte de base-ball.

Dans La guerre des mondes, film inspiré du livre d’Herbert-George Wells, les Martiens succombaient à l’assaut des microbes terriens, contre lesquels ils n’étaient pas immunisés. Ici, et comme on ne pouvait pas refaire le même coup, ils sont allergiques à l’eau, et l’envahisseur est vaincu par un verre de flotte. Il en crève, bien fait ! Du coup, l’ex-pasteur recouvre la foi en Dieu et remet son col de pasteur. Tout est bien qui finit bien, par conséquent.

Voilà, je vous ai tout dit. J’espère vous avoir donné envie de voir ce chef-d’œuvre.

En bref : inutile de se déranger.Haut de la page

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Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1er janvier 1970.